La traversée du désert
À la croisée des chemins, l’autobus s’est arrêté pour me laisser descendre. Le temps était venu de quitter mon groupe de randonneurs. J’étais prête, voire même excitée à l’idée de vivre une nouvelle aventure. Je les ai remerciés pour leur soutien et pour leur bonne humeur, tout au long du périple, particulièrement ma camarade de chambre. J’ai empoigné ma valise, et je suis partie sans jamais regarder en arrière.
Mon chauffeur, Ailton, m'attendait assis sur son capot. Lorsqu’il m’a vue, il s'est empressé de venir à ma rencontre, il a saisi ma valise et m’a souri. Il ne parlait pas très bien le français, mais faisait beaucoup d’effort afin que je le comprenne. Il était vraiment gentil et dégageait une énorme candeur. Il va de soi qu’une femme seule pourrait avoir peur d’être dans le désert, sans âme qui vive, dans une voiture, pendant 1h30, avec un pur inconnu, mais honnêtement, je n’ai jamais eu peur pour ma sécurité, au contraire, parce que je n’avais aucun doute sur le dévouement et la cordialité d’Ailton. Le marchepied pour embarquer dans le camion était plutôt haut et j’ai regretté mon choix vestimentaire. Note à moi-même : une jupe-short est à proscrire lors de la traversée d’un désert.
Tel un enfant qui montre sa chambre et ses jouets à son nouvel ami, Ailton m’a fait découvrir le désert de Santo Antao avec un bonheur sans bornes. Les montées et les descentes étaient abruptes et la route sinueuse. Le désert du Cap-Vert est constitué de vallées de terre et de roches dorées - c’est magnifique et c’est envoûtant, j’avais l'impression d’avoir un accès privilégié à la précieuse et mystérieuse cité d’or. Puis, il y avait de la fierté dans les yeux d’Ailton. Des centaines d’hommes (sûrement des milliers) avaient participé à la construction de cette somptueuse route en pavé. Le sang et la sueur de plusieurs Capverdiens, dont Ailton, avaient permis à cette route de voir le jour. Il m’a parlé de la chaleur accablante et de ses nombreux allers-retours, en camion, pour amener et ramener des travailleurs épuisés. Cela m’a permis de comprendre le caractère sacré de cette route.
Après 1h30 de paysages pittoresques, on a entamé la descente vers le village de pêcheur. Ce dernier fragment de la route, en flanc de montagne, avec vue sur la mer, n'était pas encore terminé (un projet pour mes enfants a mentionné Ailton). Comme à l’arrière d’un autobus scolaire, je me suis cramponnée tant bien que mal, mais j'avais confiance au talent de conducteur d’Ailton. Le village était paisible et les bateaux de pêche colorés. Le camion s’est finalement arrêté devant un portail vert. Ailton m’a aidée avec ma valise et il m’a souhaité un agréable séjour. J’ai hésité à le serrer dans mes bras, mais je me suis retenue, pour éviter les malaises - après tout, il n’avait fait que son travail. Je l’ai regardé partir dans son uniforme, beaucoup trop grand pour son petit corps aux allures d’adolescent, et je l’ai remercié en silence pour cette aventure digne des plus beaux récits de voyage. Obrigada Ailton !
N’ayant ni montre ni téléphone, j’ai quitté sa chambre trop tôt, soit vers 3-4h du matin afin de faire ma valise - le chauffeur devait venir me chercher à 6h00. Note à moi-même : toujours demander un départ tardif à l’agence (c’est bien plus agréable de quitter après le déjeuner). Le chauffeur est arrivé à 6h00. Une partie de moi espérait que ce soit Ailton, mais je savais que la compagnie de transport comptait plusieurs chauffeurs à son actif. Comme de fait, un homme dans la quarantaine et trapu a fait son apparition à la place d’Ailton. Il était courtois (et m'a clairement trouvé de son goût), mais ne parlait pas un mot de français ou d’anglais, je m'ennuyais déjà d’Ailton. J’ai embarqué dans le pick-up blanc étant vêtu d’un short de randonnée cette fois-ci (et non d’une jupe-short) et je me suis résignée à quitter ce petit coin de paradis, en regardant en direction de la chambre où il était en train de dormir (ayant probablement déjà oublié toute trace de mon existence).
Nous avons croisé des coureuses en chemin - Des femmes inspirantes qui n’ont pas peur de courir en flanc de montagne, à la lueur du matin, j’ai trouvé ça vraiment beau de les voir. Je les ai saluées et elles m’ont répondu avec un grand sourire et le revers de la main. Xau ! (au revoir).
La traversée du retour fut différente parce que j’étais imprégnée par son passage sur mon corps, mais également par mon amour sans réserve pour ce coin de pays. Les vallées de terre dorée - ma précieuse cité d’or était éclatante, je pouvais ressentir leur force et leur influence magnétique dans toutes les parties de mon corps. Je me suis laissée porter par la route sinueuse qui était devenue pour moi un flux d’énergie cosmique. Je ne voulais plus que cela s’arrête, je voulais que la route de pavé soit un chemin vers l’infini. Et subitement, la voiture s'est arrêtée. J’ai repris connaissance et je n’ai pas compris pourquoi nous nous étions arrêtés au milieu de nulle part. Le chauffeur sans nom m’a montré un gallon de plastique vide et il a pointé en direction d’un point d’eau : « Clear water » a-t-il bredouillé. J’ai compris qu’il faisait référence à de l’eau de source – L’OR de la cité d’or. Il a rempli 2 gallons d’eau et nous sommes reparties.
Le chauffeur sans nom m’a laissé devant la porte du quai où j’allais prendre le traversier pour la grande ville de Mindelo. Il m’a aidé avec ma valise et il m’a salué poliment, je lui ai souri, en guise de remerciement, j’ai empoigné ma valise à roulettes, et je suis partie le cœur marqué par une incroyable cité d’or et les mots doux d’un danois, sans jamais regarder en arrière.