Le pied montagnais

Nous étions partis toute la journée et il ne restait que quelques kilomètres à parcourir. La descente avait été longue et épuisante, je pouvais sentir la plante de mes pieds et le bout de mes orteils endoloris, j’avais hâte que ce calvaire se termine, et j’étais impatiente d'apercevoir le camion qui allait nous ramener à l’hôtel - je le guettais avec insistance, avant qu’on croise une vieille dame. Elle portait un foulard sur la tête, un chandail en coton, une jupe fleurie et des chaussures en toile, mais ce qui m’a le plus frappée était sa canne, en pleine montagne. Il y avait encore plusieurs kilomètres, à forts dénivelés, à sillonner avant de se rendre au village et cette femme s’apprêtait à les braver avec une canne. J’étais fascinée et j’ai sorti mon appareil, sans hésiter, afin de la prendre en action. En voyant ma caméra, elle s’est empressée de dire non, sans ménagement, avec ses deux bras en l'air - j’ai compris le message assez rapidement et j’ai rangé l’objet diabolique dans mon sac à dos. Sur le coup, j’étais gênée d’avoir fait preuve d’autant de maladresse et d’impertinence à son égard. Puis après, je me suis souvenue des jeunes gens que nous avions croisé plus tôt qui faisaient de nombreux allers-retours avec des kilos de canne à sucre sur les épaules. Ils portaient tous des souliers ravagés par l’usure et par la terre. J’ai regardé mes bottes de randonnée et celles de mes partenaires de marche, en excellente condition, et j’ai compris que nous étions que de passage, et que nos pieds n’avaient pas vécu la terre, comme ceux de ces jeunes travailleurs. Nos pieds n'avaient vécu qu’un aperçu de la vie en montagne. J’ai vu le camion blanc au loin, ainsi qu’un groupe d’écoliers. Ils chantaient des chansons et transportaient des caisses de ravitaillement. Le guide nous a expliqué que pour se rendre à l’école, ils marchaient près de 4h par jour et, au retour, ils ramenaient généralement les courses pour le village. D’un commun accord, moi et les membres du groupe avons décidé de nous joindre au cortège. Puis, en chemin, nous avons croisé la vieille dame et, cette fois-ci, elle a accepté que je la prenne en photo. Elle a peut-être estimé que je comprenais maintenant ce que la vie en montagne signifiait, du moins, c’est ce que j’aime croire. 

Faire d’une terre son chez-soi, c’est aussi prêter attention à l’environnement qui nous entoure, c’est apprécier et reconnaître son aridité et sa dureté, mais également sa population. On ne développe pas un pied montagnais par simple endurance, mais en allant au-delà des beaux paysages, pour y découvrir un habitat dans toute sa profondeur. 








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