La cohabitation
Quand je suis entrée dans la chambre, je n’ai pas été étonnée par son apparence parce que Sandrine de l’agence de voyages m’avait avisé du caractère rustique de l’hôtel - je n'avais donc aucun jugement en ce qui a trait à la décoration et aux manques de commodités de base, comme les serviettes de toilette ou les draps. Au contraire, je trouvais que l’endroit m’offrait un retour à la simplicité voire même à la vraie vie dans un pays chaud – un retour à mes racines créoles.
Au niveau du toit, il y avait une fenêtre ronde sans vitre et sans moustiquaire qui m’a fait penser à un découpage d’enfant dans sa plus simple expression. Il y avait également une fenêtre à côté de la porte d’entrée et dans la salle de bain. À défaut d’avoir des moustiquaires dans les fenêtres, il y avait de légers tissus blanc et bleu d’accrochés en guise de rideaux et des volets en bois peints en bleu clair par souci d’uniformité. Cela dit, elles se sont avérées impossibles à barrer ou à fermer convenablement. Je me souviens m'être acharnée de peine et de misère dans la salle de bain afin de fermer ces maudits volets, pour un peu d’intimité. Après quelques minutes de lutte, je me suis résignée au fait que les passants allaient m’entendre faire pipi, en plus d’avoir la possibilité de me zieuter à leur guise à travers les fissures des volets mal emboîtés.
Je suis sortie de la salle de bain et j’ai regardé les deux lits simples collés ensemble comme des camarades inséparables - cachés en dessous d’une énorme tente moustiquaire, et j’ai souri. J’ai eu l’impression de retomber en enfance où je prenais plaisir à construire mon nid avec des draps et des couvertures. À cet instant, j’étais déterminée à vivre le moment présent avec candeur - un profond sentiment de légèreté. Quand je suis revenue dans la chambre, j’ai constaté que j'avais oublié de fermer les lumières, par mégarde. Au moment d’éteindre celle de la salle de bain, j’ai vu le trou noir - un dense tourbillon de fourmis dans la douche, en plus de ce qui m’est apparu être un ver sorti des égouts - un immense ver brun qui grouille. La musique d’un film d’horreur est aussitôt retentit dans mes oreilles - j’ai figé pendant une fraction de seconde et j’ai senti mon cœur débattre … et sans crier gare, j’ai complètement changé d’attitude. J’ai allumé le robinet de la douche afin de les faire disparaître, j’ai passé la vadrouille et j’ai fermé la lumière.
J’ai enfilé mon pyjama, je me suis glissée en dessous de la toile moustiquaire et j’ai fermé les yeux avec satisfaction. Quelques minutes se sont écoulées et j’ai été envahie par la chaleur des lieux et un profond inconfort - mon corps se débattait de toutes ses forces contre ce climat brûlant. Plusieurs minutes plus tard (qui m’ont paru des heures) - la température de mon corps s'est adaptée et j'ai arrêté de suer, mais cela m’a également permis de ressentir les picotements auxquels je n’avais pas prêté attention auparavant, en raison de la chaleur. J’ai allumé ma lampe frontale et je les ai vus allongés autour de moi, comme un amant non désiré - les fourmis étaient là à mes côtés, dans mon lit. Encore une fois, je n’ai pas paniqué. D’un revers de la main, j’ai balayé le drap à maintes reprises. J’étais déterminée à vivre le moment présent avec légèreté. Le lendemain matin quand je me suis réveillée avec le chant du coq, elles étaient encore là, mais cette fois au pied de mon lit. Était-ce des rescapés qui avaient échappé à mon balayage de la veille ou des soldats entêtés et téméraires qui contestaient mon autorité territoriale ? J’ai tout balayé d’un mouvement résolu et ferme et j’ai empoigné un balai afin d'empêcher toute tentative de représailles. Je me suis assurée que la lumière était fermée dans toutes les pièces et je suis sortie profiter de la journée ensoleillée.
Le soir venu - j’ai inspecté toutes les pièces ainsi que mon lit avant de me coucher - je ne voulais pas avoir de visiteurs indésirables. J’ai fermé les yeux et brusquement, j’ai senti leur présence - elles étaient de retour. J’ai senti l’irritation montée en moi, mais je n’ai pas voulu me laisser convaincre par celle-ci. J’ai opté pour le lâcher-prise. J’ai dégagé mon oreiller et c'est tout. Aux premières lueurs du jour, j’ai rapidement constaté que les fourmis avaient disparu par elles-mêmes - aucune trace de leur passage voire même de leur existence. J’avais accepté la cohabitation et elles pareillement.
Le même jour, un couple d'allemand est arrivé à l’hôtel. Je pouvais voir la déception dans leurs yeux, car pour eux rustique était synonyme de champêtre et non de rural ou de rudimentaire. À la seconde où nous avons quitté la table pour rejoindre nos chambres après le repas du soir - nous savions tous que ce couple n'accepterait pas la cohabitation. Ils sont descendus avec leurs valises et une expression d’indignation sur leur visage. Tant de bien que mal, le gérant a tenté de les résonner. Ils étaient prêts à dormir sur la plage pour éviter la cohabitation.
Ils ont finalement accepté la dure fatalité et ils sont allés dans leur chambre. Je ne saurai jamais s’ils ont quitté l’hôtel le lendemain, car j’ai quitté à l’aube.
Le même soir, en riant de la situation avec les autres résidents de l’hôtel - le gérant m’a confié que ma chambre était en fait « la pire » en matière de coquerelles. J’ai partagé au groupe que pendant toute la durée de mon séjour, je n'avais jamais vu l'ombre d’une coquerelle. Tel un découpage d’enfant, j’avais décidé de voir le monde dans sa plus simple expression, avec légèreté et candeur.